JUMAI VICTOR
Entretien avec Bernard-Henri Lévy, à l’occasion de la première américaine à New York de son film
Une Autre Idée du Monde—The Will to See à New York le 16 janvier 2022.
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À la fin de l’année 2019, Bernard-Henri Lévy rentre du Nigeria avec un reportage d’une force rare. Il décrit les actes meurtriers, odieux et terroristes d’un groupe « plus ou moins liés à Boko Haram », « des islamistes d’un genre nouveau » : les Fulanis. De village en village, ils attaquent, brulent et assassinent les Chrétiens du Nigeria. Bernard-Henri Lévy nous présente une de leurs récentes victimes, Jumai Victor. Cette femme, « une évangéliste », se recueille sur une tombe, celle de son mari et de ses quatre enfants assassinés. Elle survit à cette attaque. Enceinte, les Fulanis ont épargné sa vie, mais certains d’entre eux lui ont tranché, l’un après l’autre, les doigts, puis la main et l’avant-bras.
L’image est saisissante, effroyable même. Je la découvre, assis confortablement dans la salle de cinéma du Core Club à New York lors d’une projection privée du film The Will to See. Le décalage est complet. Une heure trente plus tard, ni moi ni aucun des autres spectateurs, journalistes, diplomates et invités ne seront insensibles à ces voyages insensés en Lybie, au Kurdistan, en Ukraine, à Mogadiscio en Somalie, au Bangladesh, en Afghanistan et sur l’île de Lesbos en Grèce, « capitale européenne de la douleur ».
Dès mars 2020, Bernard-Henri Lévy part loin, ailleurs, à la rencontre de celles et ceux dont on ne parle plus alors que les frontières sont fermées, qu’une grande partie du monde se confine, s’extasie devant la nature revenue dans les rues des villes, applaudit chaque soir un corps infirmier vite oublié depuis, se promet un monde d’empathie et absorbe en état d’hypnose les chiffres quotidiens des contaminés et des morts de la covid-19. Si les gouvernements, avec le soutien des médecins, transforment alors le sens du mot « essentiel » en un catalogue restrictif à la Prévert, l’intellectuel français refuse cette voie sans issue.
Depuis le début de la pandémie, Bernard-Henri Lévy, vous avez écrit Ce virus qui vous rend fou ; vous avez publié à travers le monde le récit de vos reportages et les avez rassemblés, après une première partie consacrée aux raisons et à la forme de votre engagement depuis 50 ans, dans un autre ouvrage Sur la route des hommes sans nom, et enfin vous réalisez à partir de vos voyages dans ce monde à l’arrêt ce grand documentaire, Une Autre Idée du Monde (The Will to See) dont la Première américaine est programmée ce 16 janvier au Jewish Film Festival de New York.
Comment tout ce travail se complète-t-il ?
Vous venez de décrire exactement la genèse du film. J’ai pris la route, je suis sorti d’Europe et j’ai réalisé ce film justement parce que j’étais épouvanté par l’irréalité du monde dans lequel nous étions entré. La lutte contre le COVID nous installait dans un univers parallèle où plus rien d’autre n’existait que notre santé. Et dans cet univers parallèle, je sentais une vague d’égoïsme déferler qui me semblait absolument désastreuse pour le monde et pour nous. Je prenais très au sérieux bien sûr la pandémie, je respectais les règles sanitaires mais mon réflexe immédiat a été de penser qu’il fallait aussi lutter contre cette épidémie d’égoïsme, de cécité.
La civilisation commence quand tu donnes la priorité à l’autre sur toi-même,
Emmanuel Levinas
La rhétorique de cette épidémie était celle d’un combat, d’une guerre. Nous avons même l’impression de voir les autres conflits disparaitre soudainement, en tous cas de notre information. Putin, Erdogan et Xi Jiping semblent devenir un instant de grands démocrates inoffensifs. C’est dans ce contexte que vous partez à la recherche des victimes de conflits lointains, héros de guerres oubliés, enfants de la misère, les sans voix, les damnés de la terre, réfugiés exclus de toute sociétés, « de l’autre », dirait Emmanuel Levinas.
J’ai réalisé ce film pour expliquer à mes contemporains qu’on ne peut pas utiliser les mots à tort et à travers et que le mot guerre est un mot qui hélas désigne une réalité toute autre que la lutte des médecins et des chercheurs contre un virus. Les guerres, il y en a, elles ne sont ni inévitables, ni naturelles. Il est en notre pouvoir de les arrêter ou de les empêcher, et elles sont plus tragiques encore—parce que liées à la folie et à l’imbécilité des hommes—que le déferlement d’un virus. Et puis on ne peut pas construire un monde sur des murs, sur des espaces fermés, sur des exclusions durables et profondes et en tournant le dos aux exigences de fraternité minimale qui font que les humains sont véritablement humains.
L’importance, donc, d’être éclairés sur celles et ceux qui sont tapis dans les ombres de la société.
Le rôle d’un intellectuel est de montrer ce qui est caché, d’inviter à ouvrir les yeux sur des réalités obscures et d’aider les gens à voir ce qu’ils ne veulent pas voir, ou ce que le reste du monde s’emploie à les empêcher de voir. Lorsque des gens sont invisibles, lorsqu’ils sont privés non seulement de leur voix mais aussi de leur nom, de leur existence, parfois de leur mort—puisqu’ils meurent dans l’anonymat et l’indifférencié, c’est le rôle d’un intellectuel d’essayer de les mettre dans la lumière. J’insiste sur ce point car il y a aux États-Unis un mouvement qui, en prétendant lutter contre ce qu’on appelle parfois l’« appropriation culturelle », rend impossible ce geste de relayer la parole de celles et de ceux dont la voix n’est pas audible. Je revendique, moi, ce geste. Quand les gens sont privés de parole, il faut la leur rendre, la leur donner.

J’ai évoqué plus haut cette rencontre, grâce à votre livre et votre film, avec Jumai Victor. Il y a aussi Fawza Youssef, l’écrivain et féministe du Rojava au Kurdistan et les Birangona au Bangladesh, héroïnes de la nation. En fait, les femmes sont particulièrement présentes dans ces reportages.
Parmi ces voix peu entendues, occultées par notre temps, il y a souvent les voix des femmes. Ce film est un hymne aux femmes. Il y a des martyres et des héroïnes. Des victimes et des combattantes. Les unes comme les autres m’ont bouleversé. Les victimes, c’est cette femme torturée par Boko Haram par laquelle s’ouvre le film ; ce sont ces femmes violées au moment de la guerre d’indépendance du Bangladesh que je retrouve après 50 ans. Les héroïnes, ce sont les femmes combattantes du Rojava qui défendent les valeurs du féminisme, les armes à la main.
Et puis il y a ces enfants, ce garçon au « visage d’ange, beaux yeux gris sans regard », écrivez-vous, qui « ramassait les têtes que son père, bourreau à Raqqa, décapitait », ces adolescents emprisonnés au Kurdistan qui sont à la frontière de l’humanité, plus exactement de l’inhumanité.
Ce sont des enfants victimes de la plus terrifiante des injustices, celle qui procède de l’idée d’une culpabilité collective. « Tes parents sont des criminels, donc tu es un criminel. » Je refuse absolument cette logique. Je suis fier d’avoir réussi à tourner ces images de ces fils de criminels qui, pour la plupart d’entre eux, sont bien décidés à faire un pas, et même plusieurs, hors du rang des meurtriers. Je suis heureux si j’ai pu les aider à faire ce saut hors du rang des meurtriers fussent-ils leurs propres parents. Il y a là un combat essentiel contre l’idée d’une culpabilité qui se transmettrait comme une maladie.
Vous voulez donc aider certains de ces adolescents, ceux qui en expriment le souhait, à rejoindre les rangs de la civilisation. Vous intervenez souvent dans votre film. Il vous arrive même d’haranguer les foules comme c’est le cas en Lybie et en Ukraine. Vous affirmez dans la première partie de Sur la route des hommes sans nom que malgré les apparences, vous n’êtes pas un journaliste car votre « parti pris est inverse ». Vous devenez volontairement acteur de ce que vous décrivez, vous êtes écrivain, auteur et cinéaste documentariste. Vous n’êtes pas non plus, dites-vous, l’envoyé de la France, mais vous parlez en son nom. On vous reproche parfois la forme de votre travail, alors pourquoi ce besoin de se mettre en scène ?
Par honnêteté. Et parce que les scènes que filme un documentariste en général—et moi en particulier—sont des situations que crée pour une grande part la présence même du dit documentariste. C’est une illusion de croire qu’il y a une situation qui attendrait sagement, dans les limbes, qu’on veuille bien la cueillir, la capter et la reproduire. La simple arrivée d’une caméra, d’une équipe de cinéma, modifie la situation et, pour une part, la crée. L’honnêteté est de le dire. Les situations que je filme sont à l’exact confluence de l’objectivité et de la subjectivité.
Au point de devenir parfois l’histoire elle-même et de faire face au danger, d’être la cible des balles des kalachnikovs comme c’est le cas sur une route de Lybie, entre Misrata et Tripoli.
Je ne filme pas ce jour-là une embuscade en général mais une embuscade qui m’est tendue. Je filme des assassins qui me visent, je filme des bandes de fous furieux djihadistes qui sont là, à cet endroit, parce que j’y suis.
Parce que vous êtes Juif !
Parce que je suis celui que je suis, c’est à dire français, écrivain et juif.
Quand ils crient, « Dehors chien de Juif », c’est à moi qu’ils s’adressent et c’est par mon nom qu’ils m’appellent. L’honnêteté est de rapporter cette scène, en assumant ma part de subjectivité et l’intrusion de celle-ci dans le réel.


Au détour d’un de vos voyages, vous vous retrouvez dans un Paris bruissant de manifestations violentes, des Gilets Jaunes mêlés aux anti-vaccins. Peut-on comprendre à ce moment-là, après avoir été témoin de la plus profonde misère humaine, que dans un pays protégé par la médecine, par l’économie et par la démocratie on ait envie de manifester publiquement son incompréhension et sa colère ?
Je fais du grand reportage, du reportage de guerre en particulier, depuis 50 ans, et depuis 50 ans, j’ai toujours eu du mal à m’adapter quand je rentre en France ou aux États-Unis. Mais quand j’arrive dans la France des Gilets Jaunes ou des manifestations anti-vaccins, quand j’entends hurler contre la « dictature sanitaire », quand j’entends dire que la France serait en train de vivre dans un état fasciste alors que je rentre justement d’un endroit où la dictature fait des vrais ravages et où le fascisme est vraiment en action, j’ai du mal à accepter cela.
Évidemment, je pense ici aux trois personnages picaresques que vous citez dans un texte poétique en 4ème de couverture de Sur la route des hommes sans nom. Le premier est le Don Quichotte de Cervantès ; le second signe l’un des plus beaux récits du 20ème siècle, La Promesse de l’Aube, l’écrivain, cinéaste aussi, et auteur de reportages remarqués pour Life Magazine, Romain Gary ; et le troisième est un officier anglais, un idéaliste, célèbre pour ses mémoires Les Sept Piliers de la Sagesse, T.E. Lawrence, dont vous parlez d’ailleurs beaucoup. Don Quichotte, Romain Gary et Lawrence d’Arabie, qu’ont-ils en commun ?
Le goût des causes perdues. Il est encore plus important de lutter pour des causes perdues que pour des causes victorieuses. Une cause perdue qui, en plus, serait oubliée, qui en plus serait effacée de la mémoire des hommes, c’est une double perte et une perte sans recours. Il y a une grande vertu chez eux, personnage de fiction ou personnages réels : ils savent la noblesse de la défense des causes perdues.
Vos reportages, votre film s’inscrivent dans une histoire qui se poursuit et est particulièrement d’actualité. C’est le cas en Afghanistan.
En Afghanistan, j’ai vu deux choses. Contrairement à ce que répètent inlassablement les défaitistes d’Amérique et d’Europe, l’Occident avait réussi en Afghanistan. Avec 20 fois moins de soldats qu’au Japon, 50 fois moins qu’en Corée, 15 fois moins que dans certains pays européens, les occidentaux avaient réussi à susciter la naissance d’une société civile et à aider les femmes afghanes à vivre dignement et librement. Mais notre film montre aussi la catastrophe inévitable dès lors que les occidentaux, en particulier les Américains, mettent à exécution leur menace de partir. À l’époque du tournage, l’irréductible optimiste qui est en moi ne voulait pas y croire. Je pensais qu’il y avait encore une chance d’empêcher cette folie que sera le départ des troupes américaines. Cet optimisme-là montrait aussi quel enchaînement de catastrophes s’en suivrait. L’Afghanistan est une des rares fois dans ma vie où j’ai vraiment été très triste d’avoir raison.
Et puis l’Ukraine, je pense ici à cette phrase de Saint Exupéry que vous citez, « la guerre n’est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus », l’Ukraine où vous vous filmez dans les mêmes tranchées où se joue aujourd’hui un destin potentiellement tragique.
On voit dans le film l’endroit exact où les tanks de Poutine s’apprêtent, à l’instant où nous parlons, à attaquer. J’aimerais que ces images soient vues par toutes celles et par tous ceux aux États-Unis qui ont le pouvoir d’empêcher ce grand crime que serait là l’attaque de Poutine contre l’Ukraine.
La plus grande maladie des humains, c’est la cécité, c’est la volonté de ne pas voir.
Bernard-Henri Lévy
La question que je me pose, spectateur et récepteur de ce que vous venez de partager, est de savoir ce que nous pouvons faire, nous les individus, nous les nations, maintenant que nous savons ?
Renverser l’opinion, retrouver le sens de la fraternité, rompre avec ce double piège qui est l’isolationnisme chez les républicains et l’idéologie de l’identité et de la fermeture aux autres à l’aile gauche des démocrates. Il y a là une tenaille : l’isolationnisme de la droite et l’identitarisme de la gauche dont résultat est le même : c’est un Occident qui se ferme, qui se mure et qui laisse mourir le reste de l’humanité.
Comment y parvenir ?
Chacun à notre place, dans nos lieux de travail, dans nos lieux de parole possible, nous avons le pouvoir de faire échec à cette vague de fond qui balaye nos sociétés et qui, si elle devait l’emporter, signerait leur déclin définitif.
Au-delà de la volonté de voir, celle donc d’en discuter. L’essentiel finalement, si tant est que l’on puisse définir ce qui est l’essentiel dans nos vies, c’est l’autre ?
Et c’est le voir. La plus grande maladie des humains, c’est la cécité, c’est la volonté de ne pas voir. J’ai la volonté de voir, notamment ce qu’on essaye de m’empêcher de voir, et je voudrais transmettre cette volonté de voir à mes contemporains.
Jumai Victor, cette jeune Nigérienne de confession chrétienne, « très belle, mais elle a une façon de se tenir, un peu de biais, qui fait qu’on ne s’en avise pas tout de suite » écrit Bernard-Henri Lévy dans son livre, ne verra pas ce film.
Jumai ne témoignera jamais devant une cour de justice internationale contre les meurtriers de son mari et de ses enfants, ni devant une commission des Nations Unies ou lors d’une soirée des Vital Voices à Washington D.C.
Quelques mois après le tournage, au moment même où se termine le montage d’Une Autre Idée du Monde, nous apprend Bernard-Henri Lévy, les Fulanis la torturent à nouveau et, cette fois-ci, l’assassinent. Je pense ne jamais oublier son nom, ni son visage et sa calme tristesse visible à l’écran, sa résiliation aussi penchée sur la tombe des siens.
Jumai Victor ne sera jamais plus anonyme.
The Will to See, réalisé par Bernard-Henri Lévy et Marc Roussel – 92 minutes in French and English with English subtitles
Dimanche 16 janvier 2022, au Walter Reade Theater à 16h00.
La projection sera suivie d’un Q&A avec le réalisateur
Billet : https://www.filmlinc.org/films/the-will-to-see/

The Will To Know, Jumai Victor
A conversation with Bernard-Henri Lévy, on the occasion of the New York premiere of his film The Will to See in New York on January 16th, 2022.
At the end of 2019, Bernard-Henri Lévy returns from Nigeria with a report of rare strength. He describes the heinous, murderous, and terrorist acts of a group “more or less linked to Boko Haram,” “Islamists of a new kind” : the Fulani. They attack Christians in Nigeria from village to village, they burn their houses and kill them. In his movie, Bernard-Henri Lévy introduces us to one of their recent victims, Jumai Victor. This woman, “an evangelist,” is collecting her prayers at her husband and four children’s grave, brutally killed by the Fulani. She survived the attack. Pregnant, the Fulani spared her life, but some of them cut off, one after the other, first her fingers, then her hand, and her forearm.
The image is striking, frightening even. I discover it, sitting comfortably at the Core Club in Manhattan during a private screening of The Will to See. I am transported in a different dimension. An hour and a half later, neither I nor any of the other spectators, journalists, diplomats, and guests will remain insensitive to these insane journeys to Libya, Kurdistan, Ukraine, Mogadishu in Somalia, Bangladesh, Afghanistan, and the island of Lesbos in Greece, “Europe’s capital of pain.”
Since March 2020, Bernard-Henri Lévy has traveled far away, elsewhere, to meet those who are no longer spoken of, while the borders were closed, while a large part of the world shut down, while people were ecstatic as they witnessed nature re-owning the streets of cities, when they applauded every evening a nursing corps that has since been forgotten, when they promised themselves to build a more empathetic world, and when they drowned themselves hypnotized by the daily accounts of the covid-19 contaminated and dead cases. If the governments, with the support of the doctors, transformed the meaning of the word “essential” into a restrictive catalog à la Prévert, the French philosopher and movie maker refused to follow this dead-end path.
In the last two years, Bernard-Henri Lévy, you wrote The Virus in the Age of Madness; you published accounts of eight stories reported from around the world, and then you combined them, in another book, The Will to See: Dispatches from a World of Misery and Hope, which also contained a first part devoted to the reasons and form of your commitment over the past 50 years. Now your new documentary film, The Will to See, based on your travels, will premiere on January 16 at the New York Jewish Film Festival at Lincoln Center. How does all this work come together?
You just described exactly how the film came about. I went on the road, got out of Europe, and made this film precisely because I was appalled by the unreality of the world we had entered. The fight against COVID-19 was sending us in a parallel universe where nothing else existed but our health. And in this parallel universe, I felt a wave of selfishness emerging that seemed absolutely disastrous for the world and for us. I took the pandemic very seriously, of course, and I scrupulously respected the health guidelines, but my immediate reflex was to think that we also had to fight against this epidemic of selfishness, this epidemic of blindness that was hitting us.
A civilization exists when you prioritize others over yourself.
Emmanuel Levinas
War was the rhetoric of this epidemic. We even had the impression that other conflicts suddenly disappeared, at least from the media perspective. Putin, Erdogan and Xi Jinping seemed for a moment to become great and harmless democrats. It is in this context that you went in search of distant conflicts’ victims, of forgotten war heroes, of children in misery, of the voiceless, the damned souls of the earth, and the refugees excluded from all societies, “of the other,” as Emmanuel Levinas would say.
I made this film to explain to my contemporaries that we cannot employ this word ‘war’ improperly and that the word ‘war’ is a word that unfortunately designates a reality quite different from the struggle of doctors and researchers fighting against a virus. Wars exist, they are neither inevitable nor natural. It is within our power to stop or prevent them, and they are even more tragic — because they are linked to the madness and imbecility of men. We cannot build a world based on walls, on closed spaces, on lasting and deep exclusions and by turning our backs on the requirements of minimal fraternity that make humans truly human.
To do this, it would thus be necessary to be enlightened by those who are lurking in the shadows of society.
The role of an intellectual is to show what is hidden, to invite people to open their eyes to obscure realities and to help them see what they do not want to see, or what the rest of the world is trying to prevent them from seeing. When people are invisible, when they are deprived not only of their voices but also of their names, of their existence, sometimes of their deaths—because they die anonymously—it is the role of an intellectual to try to bring them into the light. I insist on this point because there is a whole movement in the United States that, in claiming to fight against what is sometimes called “cultural appropriation,” makes it impossible to relay the words of those whose voices are not heard. I fight against this. When people deprived of speech, one must return it to them, give it back to them.

I mentioned above this encounter with Jumai Victor thanks to your book and your film. There is also Fawza Youssef, the writer and feminist of Rojava in Kurdistan and the Birangona in Bangladesh, heroines of the nation. In fact, women are particularly present in these stories.
Among these voices occulted by our time, there are often the voices of women. This film is a hymn to women. There are martyrs and heroines. Victims and fighters. I was moved by all of them. The victims are the woman tortured by Boko Haram with whom the film opens; they are the women raped at the time of the war of independence in Bangladesh that I meet again after 50 years. The heroines are the women fighters of Rojava who defend the values of feminism, weapons in hand.
And then there are these children, this boy “who has an angelic face with lovely gray eyes and an empty look,” you write, who “would gather the heads that his father, an executioner in Raqqa, cut off,” these teenagers imprisoned in Kurdistan who stand at the frontier of humanity, or more exactly of inhumanity.
They are children who are victims of the most terrifying injustice, the one that comes from the idea of collective guilt. ‘Your parents are criminals; therefore, you are a criminal.’ I absolutely reject this logic. I am very proud to have succeeded in filming these sons of criminals who, for the most part, are determined to take a step, and even several steps, out of the ranks of the murderers. And I’m happy if I could help them to make this leap out of the ranks of murderers, even if the murderers are their own parents. There is an essential fight against the idea that guilt is passed on like a disease.
So, you want to help some of these teenagers, those who express the wish to join the ranks of civilization. You often intervene in your film. You even sometimes address the crowds, as it is the case in Libya and in Ukraine. You state in the first part of The Will to See: Dispatches from a World of Misery and Hope that despite appearances, you are not a journalist “because my slant is the inverse of a journalist’s.” You voluntarily become an actor of what you describe, you are a writer, an author, and a documentary filmmaker. You are not the envoy of France either, you say, but you speak in its name. You are sometimes criticized for the form of your reporting, so why this need to stage your work?
Out of honesty. And because the scenes that a documentary filmmaker films in general—and me in
particular—are situations largely created by the very presence of the documentary filmmaker.
It is an illusion to believe that there is a situation that is waiting in limbo for someone to pick it up, capture it, and reproduce it. The mere presence of a camera, of a film crew, modifies the situation and sometimes creates it for a part. The honesty is to say it. The situations I film are at the exact confluence of objectivity and subjectivity.
To the point of sometimes becoming the story itself and facing real danger such as being the target of Kalashnikov bullets as it was the case on a road between Misrata and Tripoli in Libya.
On this day, I am not filming an ambush in general, but an ambush targeted at me. I am filming assassins who aim for me, I am filming bands of mad jihadists who are there, in that place, because I am there.
Because you are a Jew!
Because I am who I am, that is, French, a writer, and a Jew. When they shout, ‘Out, you Jewish dog,” it is to me that they talk about, and it is by my name that they call me. The honesty is to report this scene, assuming my part of subjectivity and its intrusion into reality.
Upon returning from one of your trips, you find yourself on the streets of Paris in the middle of violent demonstrations of Yellow Vests and anti-vaxxers. Can you understand at that moment, after having witnessed the deepest human misery, that in a country protected by medicine, by the economy and by democracy, people still want to publicly demonstrate their incomprehension and anger against the decisions of their government?
I’ve been reporting, particularly on war, for 50 years, and for 50 years I’ve always had trouble adapting when I return to France or the United States. But when I witnessed the Yellow Vests and the anti-vax demonstrations in France, when I hear them scream against the health dictatorship, when I hear them scream that France has become a fascist state as I am just coming back from a place where dictatorship is really wreaking havoc and where fascism is really in action, I have a hard time accepting that.

I obviously have here in mind the three picaresque characters that you quote in a poetic text on the back cover of The Will to See: Dispatches from a World of Misery and Hope. The first is Cervantes’ Don Quixote; the second published one of the most beautiful tales of the 20th century, Promise at Dawn: the writer, filmmaker, and author of remarkable reports for Life Magazine, Romain Gary; and the third is an English officer, an idealist, famous for his memoir The Seven Pillars of Wisdom, T.E. Lawrence, whom you speak of a lot. Don Quixote, Romain Gary and Lawrence of Arabia, what do they have in common?
A taste for lost causes. It is even more important to fight for lost causes than for victorious ones. A lost cause that would be forgotten, that would be erased from the memory of men, is a double loss and a loss without recourse. There is a great virtue in them, fictional or real characters: they know the nobility of advocating for lost causes.
The greatest disease of human beings is blindness, it is the will not to see.
Bernard-Henri Lévy
Your reports, your film, are part of a story that remains particularly newsworthy. This is the case in Afghanistan.
In Afghanistan, I saw two things. Contrary to what all the defeatists in America and Europe tirelessly repeat, the West had succeeded in Afghanistan. With 20 times less soldiers than in Japan, 50 times less than in Korea, 15 times less than in some European countries, the West had succeeded in creating a civil society and in helping Afghan women to live with dignity and freedom. But our film also shows the inevitable catastrophe when the Westerners, especially the Americans, carry out their threat, their promise to leave. At the time of the shooting, the irreducible optimist in me did not want to believe it. I thought that there was still a chance to prevent the madness of the American troops leaving. This optimism also showed what a chain of catastrophes would follow. Afghanistan is one of the few times in my life when I was really very sad to be right.
And then there is Ukraine. May I use here this sentence by Saint Exupéry that you quote, “War is not an adventure. War is a disease. Like typhus.” You filmed in the same trenches where a potentially tragic destiny is played out today.
We see in the film the exact spot where Putin’s tanks are preparing, as we speak, to attack. I would like these images to be seen by all those in the United States who have the power to prevent the great crime of Putin’s attack on Ukraine.

The question I ask myself, as a spectator and receiver of what you have just shared, is what can we do, we individuals and we nations now that we know?
Turn the tide, regain a sense of brotherhood, break out of this double trap of isolationism among Republicans and the ideology of identity and closure to others on the left wing of Democrats. There is a trap here: the isolationism of the right and the identitarianism of the left, the result of which is the same. It is a Western society that closes itself off and lets the rest of humanity die.
How can we achieve this?
Each one of us has the power to stop this terrible tidal wave that is sweeping our societies and which, if it were to prevail, would signify their definitive decline.
Beyond the will to see, there is the will to discuss. What would be essential in our lives, if we can give this word a meaning, is the other person.
And it is to see him. The greatest disease of human beings is blindness, it is the will not to see. I have the will to see, especially the will to see what people try to prevent me from seeing, and I would like to transmit this will to see to my contemporaries.
Jumai Victor, this Nigerian woman of Christian faith, this “very beautiful young woman, who was missing one arm, though this was not immediately noticeable because of her off-center way of standing sideways…” writes Bernard-Henri Levy in his book, will not see this film.
Jumai will never testify before an international court of justice against her husband and children’s murderers, nor before a United Nations commission, nor at a Vital Voices event in Washington, D.C.
A few months after the filming, just as the editing of The Will to See was being completed, Bernard-Henri Lévy tells us, the Fulani tortured her again, and this time, murdered her.
I will never forget her name, nor her face and her calm sadness visible on the screen, her resignation also bent over the grave of her family. Jumai Victor will never again be anonymous.
Information on the Premiere: The Will to See, directed by Bernard-Henri Lévy
Sunday, January 16, 2022, at the Lincoln Center, Walter Reade Theater at 4pm.
The screening will be followed by a Q&A with Bernard-Henri Lévy
Tickets : https://www.filmlinc.org/films/the-will-to-see/
